Il faisait sombre, très sombre. Trop sombre. C’est un ciel sans étoile. Une nuit sans lune. Un bruit de métal frappé régulièrement. Peut-être une cloche. Le son est trop aigu pour être agréable. Ça vrille l’esprit, un peu plus à chaque coup. Un marteau sur une enclume sûrement. À la longue c’est insupportable. Chaque tintement vient faire résonner le cerveau comme une décharge électrique. Et toujours cette obscurité.
Enfin une lueur nait. Un point lumineux rouge flamboie à une dizaine de mètres. Puis un second apparait à son côté. Ce sont des yeux. Des yeux immenses. Des crocs se dessinent sous eux, plus terrifiant encore. La tête d’un cerbère gigantesque s’impose à sa vue, cette tête est plus haute qu’elle. Il grogne en la fixant. Soudain la mâchoire s’ouvre et se jette sur elle. Elle sent les canines du molosse traverser son corps.
Lydia se réveille en sursaut et prend son visage entre ses mains. Encore gantées. Elle s’est griffée le visage sur le côté gauche et la douleur se mêle à la confusion et l’horreur de son cauchemar. Son visage est brûlant, elle est en sueur et sent son sang battre dans ses tempes. Elle saigne. Les pointes aiguisées de ses manicles ont creusé deux sillons profonds sur le haut de sa joue. Le sang s’écoule doucement comme des larmes désaxées. La chaleur se répand dans sa tête. Elle étouffe ici. Elle se traine jusqu’à la pièce pour respirer en pressant sa main sur les plaies. Au sol, sur le pourtour du cercle qui fait la démarcation entre lumière et ténèbres sont disposés des verres d’eau. Une dizaine environ. Et au centre, une feuille de papier repose sous un crayon de bois.
Encore hagarde, notre écorchée se relève et dodeline jusque là. Elle renverse un verre au passage et manque de marcher dessus. L’image des tessons s’enfonçant sous son pied vient glacer l’esprit de Lydia. Elle se concentre, enlève un gant qu’elle place sous son aisselle en prenant garde aux griffes, et s’empare d’une main des deux instruments d’écriture avant que l’eau ne les ait atteints. La feuille n’est pas vierge et Lydia se rappelle maintenant que, oui, la lecture lui est familière. Elle pourrait même écrire si elle s’y essayait, tout du moins elle le croit. En haut de la feuille, au centre, des mots tapés à la machine à écrire:
N’abandonne pas. Persiste.
Est-ce un ordre ou un conseil ? Toujours est-il que lire cela l’apaise. Elle décolle sa main de son visage meurtri et relit encore ces mots en imprimant dans les fibres du papier ses empreintes digitales à l’encre sanguine. C’est la première fois qu’on communique avec elle, même à sens unique. Elle reste un instant à contempler le message puis plie la feuille soigneusement et la range avec le crayon dans l’unique poche qui orne la robe noire dont on l’a habillée pendant son sommeil. Son attention se porte sur les verres à présent. Portant l’un d’eux à sa bouche pour rafraîchir ses idées, elle s’arrête soudain. Ce n’est pas de l’eau. L’odeur est forte. C’est du pétrole, les vapeurs lui chavirent le cœur. Elle repose lentement le carburant à sa place et se met à quatre pattes au-dessus de la flaque qu’elle a créée plus tôt. Elle renifle et observe les reflets du liquide. Enfin elle pose son doigt à la surface et goûte. C’est bien de l’eau que contenait celui-là. Le sol n’est pas droit et tout s’est concentré dans un creux formant une petite nappe d’un centimètre de profondeur. La soif est trop forte, elle boit à même le sol en lapant comme elle le peut. Ça fait du bien. Elle se sent revivre. Son esprit marche à toute allure. Son envie est partagée entre l’urgence de retourner creuser son échappatoire et la curiosité du contenu des autres verres. Elle n’hésite plus. La missive est très claire. Elle remet son gant et se jette au fond du tunnel.
Correction: Eliness
Je sais pas pourquoi mais cet acte-là me fait penser à un passage de V for Vendetta…