Une cigarette par mois. Comme ça, juste un prétexte. Il faut attendre la nuit. La nuit on y voit mieux. Petit théâtre privé pour voyeur à revenu modéré. Une fois la lumière de ma chambre éteinte, il est inutile d’attendre les 3 coups, la représentation a lieu en continu. Sur un quadrillage en noir et jaune se joue un puissance quatre surréaliste. À mesure que le noir se répand, les cases gagnent en intérêt. Aucun regard ne s’est jamais tourné vers moi. Je reste toujours ébahi devant le miracle commun qui me permet de tout voir sans qu’un soupçon n’attire l’attention sur moi. Pourtant le point chaud qui imprègne son odeur nauséabonde dans ma main suffirait à un sniper débutant pour m’abattre facilement. Mais notre pays n’est pas en guerre. Il est en crise. Alors j’ai le droit de me distraire par ce plaisir sans prix.

Le rez-de-chaussé est toujours animé. Des jeunes, pour ainsi dire des gamins. Deux dans l’appartement, trois dehors, accoudés à la fenêtre. Les studios sont trop petits alors les réunions se tiennent sur le palier. Les canettes s’alignent comme on peignait les avions abattus aux combats. Les rires muant se font plus fort. Ils rient pour tout et beaucoup pour rien. J’ai déjà écouté toute une conversation une nuit installé à la fraicheur de mon mirador. Ils sont pas idiots ces gosses. Ils ne savent pas encore à quel moment l’alcool est plus fort qu’eux c’est tout.

Deux étages au dessus, il y a lui, mon binoclard. Il me rend triste si je le regarde trop souvent. Je sais pas ce qu’il fait mais ça doit être sérieux. Il a toujours l’air sérieux. Je crois pas l’avoir vu sourire ne serait-ce qu’une seule fois. Il me fait un peu penser à Michael Douglas dans Falling Down. Sauf que lui ne pétera jamais son fusible. Je miserai mes burnes là-dessus. Il mange ses plats cuisinés en boite devant sa télé et éteint à 22h30. Invariablement. Un robot. Il a déjà abandonné. Juste une enveloppe sans âme.

À trois espaces vides en diagonale y’a les deux beaufs. J’évite carrément de regarder par là. On croirait les Bidochons nouvelle génération. Un croisement hasardeux et terrible entre des fans de la star ac’ sous amphétamines et des aficionados de Pernaut. Ils ont un chien évidemment. Je précise pas la marque mais ça tient dans le sac à main de la vieille et porte un nœud rose. La vieille, c’est pour elle surtout que j’évite de regarder. Elle doit avoir un lourd passé de naturiste. Et le spectacle n’est pas beau à voir.

Heureusement, y’a l’étudiante au dernier étage, juste sous le toit. Et par chance elle a une grande fenêtre. C’est une chance pour moi car elle laisse allumé constamment. Ses insomnies provoquent les miennes. Mes nuits raccourcissent mais gagnent en beauté. Je pourrais vous en dire des choses sur elle. Mais je les garde pour moi. Je suis pas du genre vous voyez ? Elle est un peu à moi en quelque sorte. C’est pour ça que j’ai un double des clefs de chez elle. Elle ne le sait pas, pas encore. Mais elle saura. Je suis sûr qu’elle comprendra. Et puis on aura le temps d’en parler. Bientôt.

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