>De loin, cela ressemblait à un annuaire. En petit format.. En réalité ce n’était qu’un simple cahier d’écolier, barré de carreaux et de marges. Ses lignes étaient toutes noircies ou cachées. Son poids avait triplé, son épaisseur quadruplée. La couverture, recouverte de coupure de presse en noir et et blanc, arborait fièrement le Polaroïd d’une sucette turquoise émergeant de lèvres rose acidulées. Les tons avaient viré au pastel avec le temps et un slogan à l’écriture mystique ornait la partie blanche de la photo. Ses pages étaient couvertes d’encre et de collage. De souvenirs, de pense-bête et de numéros de téléphones. D’adresses aux crayons de couleur et de dessins au stylo à bille. De plans et de recettes. des morceaux de papiers, découpés, déchirés, arrachés, s’échappaient par endroit pour voleter lorsqu’elle ne faisait pas attention. La reliure semblait prête à lâcher à chaque instant mais réussissait miraculeusement à maintenir le tout ensemble depuis un temps indistinct. Carnet de voyage et journal intime, elle bringueballait cette brique de papier de sacs en sacs , de square en bancs publiques, de trains en bus, collant de ci de là une photo, une carte de visite, l’adresse d’un restaurant, le flyer d’une exposition. De temps à autres, elle reportait des notes avec un air sérieux cachée derrière ses grosses lunettes à la mode. Elle serrait de ses doigts crispés l’épaisseur pour que rien ne bouge tandis qu’elle rayait avec application la liste de ses courses de noël. Le cahier s’alourdissait un peu plus chaque jour à mesure que ses pas parcouraient la vie. Viendrait le moment où il ne resterait plus un seul carré de papier libre pour y inscrire ou y attacher quoi que ce soit. Ce jour là, elle le déposerait avec les autres dans la penderie et recommencerait le rituel avec un recueil vierge. Le décorerait de sa nouvelle humeur. Le cahier de départ ne comptait pas vraiment. Seul importait ce qu’il deviendrait. Le support était sans importance c’était le contenu, la trace, l’accumulation de preuve. L’évidence qu’elle vivait imprimée sur papier à carreau. Peut-être n’ouvrirait-elle jamais les anciens cahiers. Ce n’était pas l’essentiel. L’essentiel était de les remplir, pas de les lire.
Cela donne envie. Combien de carnets noirs déjà entamés jamais achevés… Et pourtant, j’aimerais craquer à nouveau.