En premier lieu je voudrais prévenir que cet article va spoiler un max. Donc pour ceux qui n’ont pas vu et voudraient voir ce film je vous conseille d’éviter la lecture de ce post. Ceci étant dit passons au vif du sujet, pavé à suivre.
Des films j’en vois des tas, alors pourquoi je vous parle de celui-là ? Et bien parce qu’il a réussi à réaliser un exploit qui n’avait pas été accompli depuis Dancer in the Dark: me faire verser une larme, ce qui n’est pas chose aisée quand on me connaît. J’aurais préféré regarder un documentaire de deux heures avec des enfants africains mourant de faim, j’exagère à peine. Un film que je déconseille au plus haut point à tous ceux qui redoutent de vieillir et/ou de mourir.
Au départ c’était franchement pas gagné. Un dimanche solitaire à rien foutre, je jette un oeil sur la prog du ciné histoire de sortir m’enfermer. Looper, Skyfall et Ted déjà vu, Argo pas avant lundi, Frankenweenie pas motivé, je vois marqué Palme D’or sur l’affiche d’Amour. Si ce n’est pas forcément un gage de bon film, c’est en général l’assurance d’un film « à part », je cite en vrac: Le Salaire De La Peur, Taxi Driver, Apocalypse Now, Kagemusha, Paris Texas, Sexe Mensonges et Vidéo, La Leçon de Piano, Pulp Fiction, Dancer in the Dark, Le Pianiste, Elephant, Fahrenheit 9/11, et Tree of Life pour ne citer que ceux que j’ai vu. Y’a quand même plus pourri comme récompense. Ensuite pour me motiver, y’a le réalisateur, Haneke(prononcez Aïe Noeud Queue) dont je n’ai vu que Funny Games et Le Pianiste La pianiste, le premier étant vraiment un truc intéressant à voir et le deuxième franchement bien foutu malgré que ce soit le 2154ème film abordant 39-45 et le massacre des juifs(sujet que je trouve surexploité au possible sans qu’on ait le droit de critiquer trop fort). Bref le mec est pas un manchot et ça peut être bien.
Arrivé dans la salle au trois quart vide, un truc me frappe, je suis et de loin le plus jeune de l’assistance. Les plus jeunes ont deux fois mon âge et l’endroit embaume un mélange d’eau de Cologne et d’hopital. À croire que l’affiche désigne le public. Je me dis que je vais avoir une séance tranquille vu mes voisins mais en fait non. Les vieux sont des pipelettes. « Qu’est-ce qu’il fait ? » « Pourquoi il fait ça ? » et évidement « Qu’est-ce qu’il a dit ? ». Après la demi heure de pub coupée par trois bandes annonces la salle est plongée dans le noir et un dernier couple d’anciens cherche pendant deux minutes une place(je rappelle que la salle est vide). Après avoir forcé un couple d’octo à se décaler d’une place pour finalement s’assoir sur deux rangées différente, le film commence.
Le film s’ouvre sur un mini générique sobre et silencieux où je peux lire « Avec la participation d’Isabelle Huppert » cette formule qui me fait toujours beaucoup rire. Comme si c’était une aimable grâce accordée par un acteur ou une actrice alors que les autres sont là pour gagner leur croûte. Je trouve ça très « Bourgeoisie du Cinéma Français ». Puis j’ai le droit à « Une production Franco-Germano-Autrichienne » et là ça met tout de suite dans l’ambiance, on sait qu’on est prêt à regarder un film qui passera à 23h30 sur Arte, comme Dancer in the Dark d’ailleurs. Tout ça me conditionne quand même pour voir un film assez élitiste ou tout du moins avec un public spécifique si vous voyez ce que je veux dire.
Ça commence enfin, les pompiers forcent la porte d’un appartement parisien apparemment vide, ouvrent les fenêtres pour chasser une odeur visiblement prenante pour enfin trouver dans la chambre à coucher, une vielle femme morte, allongée sur son lit, l’oreiller parsemé de fleurs coupées. Je vous raconte pas le silence qui s’installe dans le cinéma.
S’en suit l’histoire en elle-même, on suit la vie de couple d’enseigants de la musique à la retraite. Pour continuer dans les poncifs du milieu, ils habitent donc un 120m² à Paris, qui respire le vieux du parquet grinçant aux moulures du plafond. Des boiseries et des meubles anciens partout, des tapis immenses, un piano à queue, des montagnes de livres et des disques sur toutes les étagères, le mobilier de grand papa et les papiers peints assortis ternes et mornes mais dans le style classique et distingué d’une époque révolue. Le concierge et les subalternes ont toujours un accent étranger(hispano-portugais pour le concierge bien sûr). Le couple va à l’opéra et parle d’une façon littéraire si récitée que j’en viens à me demander si c’est fait exprés ou s’ils jouent affreusement mal. Ça sonne faux tout simplement, pas bourgeois, juste lu. Je commence à me dire que ça va être lourd comme film. Il n’y a pas de musique non plus sinon celle que les acteurs écoutent de temps en temps, des morceaux classiques forcément. Les dialogues sont rare et c’est tellement silencieux que, par deux fois, j’entends la musique de la salle à côté de la notre. Quand le couple parle, ce sont des références de haute culture et on se sent un peu à côté de la plaque. On a le droit à des plans contemplatifs, des actions simples qui demanderait 20 secondes pour qu’on les comprennent mais qui sont montrées du début à la fin. On a même le droit à un plan de trois minutes qui nous montre l’un après l’autre les tableaux de paysages dépressifs accrochés dans l’appartement. Si si je vous jure.
Ça donne pas trop envie tout ça vous allez me dire, et c’est vrai que j’ai mis du temps à rentrer dedans. Au début on se fait franchement chier. La vie de vieux aisés c’est pas palpitant et c’est loin de mon monde. Heureusement, si je puis dire, Anne notre vieille qui a en horreur les hôpitaux fait une petite attaque et à la suite de l’opération foirée visant à lui déboucher une artère, se retrouve paralysée du côté droit. Et c’est vraiment là que le film commence. C’est là qu’on sombre au fur et à mesure dans le quotidien horrible de Georges, son mari, qui gère comme il peut la femme qu’il aime. Tout y passe, le fauteuil roulant, les inquiétudes de la famille, l’assitance au quotidien(se laver, manger faire les courses, aller au toillettes…), les aides ménagères et les visites régulières des infirmières et du médecin. On voit Anne déprimer et sentir le poids qu’elle devient, la honte qu’elle éprouve d’être ainsi réduite à une handicapée. On se rend compte que la vieillesse n’est pas progressive, elle frappe d’un coups brutal et assomme le couple. Anne fait donc promettre à George de ne plus jamais l’emmener à l’hopital. L’arrivée d’un fauteuille électrique redonne pour un court moment un peu de joie mais très vite, Anne déprime de nouveau, ne pouvant plus jouer de piano, sa perte d’autonomie et de contrôle de son corps la mine. Elle renverse des objets, se retrouve au sol sans possibilité de se relever, les exercices pour la faire bouger sont lents et sans effets, elle fuit la pitié du regard des autres.
On pense être au fond du gouffre quand arrive une deuxième attaque. Anne survit mais est désormais alitée et son cerveau en a pris un sacré coups. Elle n’a que quelques courts moments de lucidité, parle sans donner de sens à ses mots, répète « mal, mal, mal » inlassablement, une deuxième infirmière est nécessaire, il faut la laver, lui passer des crèmes pour éviter les escarres, la nourrir, lui mettre une couche, faire des exercices de diction. Georges continue de lutter, prend sur lui pour qu’elle ne quitte pas l’appartement. Nous non plus d’ailleurs. En effet, l’atmosphère du film est anxiogène au possible, tout du long on reste enfermé là, sans vision sur l’extérieur, les rideaux sont tirés et quand George ouvre une fenêtre, pour fumer une cigarette, c’est sur une cours intérieure qui ne laisse entrer que les pigeons. L’absence de musique, les faibles dialogues et la propension du réal à nous montrer les gestes du quotidien dans leur longueur morbide vous flingue le moral pour de bon. Quand parfois Anne reprend conscience de son état, elle refuse de s’alimenter et George fait ce qu’il peut pour l’obliger à survivre.
Le point d’orgue arrive quand Georges, à bout, met fin au calvaire d’Anne avec un oreiller. Une ellipse non fera comprendre qu’il la rejoindra peu de temps après. Le film s’achève sur les pas de leur fille qui parcourt leur appartement, vide.
Ce film est donc une horreur sans nom d’un point de vue pathos mais surtout une réussite indécente pour nous atteindre là où ça fait mal avec une efficacité chirurgicale. À la fin, le choix d’un milieu aisé pour les protagonistes était justifié, on est tous égaux face à l’age, l’argent a ses limites. Difficile d’en ressortir sans s’interroger sur la vieillesse, l’eutanasie, l’horreur du quotidien, l’isolement et l’impuissance face à la mort. Un film que je ne voudrais pas revoir de si tôt mais qui valait la peine d’être vu.
Je vais faire mon enculeuse de mouches mais je crois qu’une petite coquille s’est glissée dans ton article. Le pianiste (on parle bien de celui avec le succulent Adrien Brody? J’en déduis que oui vu ta description sur le massacre juif) a été réalisé par Polanski, Haneke lui a réalisé La pianiste, qui n’a rien à voir avec l’holocauste puisque c’est un film porno-malsain bien glauque avec Huppert et Canet qui m’a laissé un souvenir assez prononcé. D’où « avec la présence d’Isabelle Huppert », qui est sans doute à Haneke ce que Johnny Depp est à Burton, la personnification même de l’univers (tordu) du réalisateur.
Ton passage sur les vieux m’a bien fait marrer puisque c’est le public que je côtoie essentiellement, j’ai migré vers le complexe bourge de la ville à cause des racailles qui m’attendaient chaque fois après la séance dans le centre-ville parce que j’avais osé leur demander de la fermer. Les vieillards sont pénibles mais c’est toujours mieux que de devoir appeler la sécurité après ton film pour pouvoir rentrer chez toi.
Quand j’ai vu la bande-annonce d’Amour ma réaction a été immédiate « NO FUCKING WAY »,mais bon tu me fais hésiter maintenant,pas que j’aie besoin de pleurer mais un bon Haneke c’est relativement rare.
Sinon, qu’est-ce que t’as pensé de Looper?
J’aurais préféré pour ma part qu’on ne s’attarde que sur le côté télékinésique assez puissant alors que le concept du voyage dans le temps est surexploité et toujours un peu prétentieux et rendait le film extra-long.
Frankenweenie c’est pas mal alors que je rejette Burton de tout mon être, les références à la Hammer sont très belles et on rigole encore facilement…
Sinon je ne sais pas si tu as vu « Dans la maison » que j’ai trouvé assez intéressant (beaucoup ont profondément détestés mais moi j’aime bien ce que fait Ozon,c’est drôle et noir), ça m’a un peu fait penser à toi sur le premier texte fictif que j’avais lu sur ton blog en me questionnant longtemps sur la part de réalité qui s’y trouvait, donc peut-être que ça t’intéresserait…ou pas!