…demain au Bataclan. Mais je doute de pouvoir y assister. C’est un peu le bordel dans ma tête. Je pense à plein de choses et ce poste risque fort de partir dans tous les sens.
C’est Antoine Daniel et Navie qui m’ont informés, via twitter. Je ne comprends pas trop les messages, puis j’apprends qu’il y a une prise d’otage au Bataclan et ma première réaction c’est de me dire que ça risque d’annuler celui de dimanche et que franchement ça fait chier parce que je veux voir Deftones depuis un moment. J’ai réservé une chambre d’hôtel même, et lundi, on enchaine avec Marilyn Manson au Zénith alors bon.
Et puis les nouvelles se précisent, on ne parle plus d’entendre des coups de feux mais de morts. On parle de grenade qui explosent. Les infos se contredisent sur les lieux des fusillades, et en fait non, c’est à plusieurs endroits.
Je fais comme beaucoup alors: j’actualise. Twitter, les sites d’information en continue. Et j’ai la gerbe. C’est la course au bilan mortel. 120 à ma gauche, 140 à ma droite qui dit mieux ? BFM m’annonce en continue qu’il ne sait rien de plus que moi mais il le répète toutes les trois minutes. TF1 me lance automatiquement une pub format A4 au volume maximum à chaque fois que je clique sur les deux lignes d’une brève mise à jour de la situation. Twitter relaie des visages inconnus en demandant des nouvelles des proches qui devaient être au Bataclan.
Et je réalise que j’ai deux billets pour ce même endroit. Et qu’à 48h près c’est une photo un peu mal cadrée me représentant qui tournerait sur ces même pages. Le réalisateur automatique lance le film dans tête. Je suis à une terrasse de café, je prends une bière avec Eli et tout va bien, je me dis qu’il fait frais et que j’aurais du prendre une veste. Et puis les tirs.
Je suis à un concert, collé à la scène comme d’habitude quand le groupe s’arrête de jouer et les gens hurlent de douleur derrière moi. Je coupe le film dans ma tête.
Je regarde ces visages défiler sur ma timeline et je repense à un texte de Desproges, sur les gens qu’on connait pas:
« Les gens qu’on connaît pas, les doigts nous manquent pour les compter.
D’ailleurs, ils ne comptent pas.
Il peut bien s’en massacrer, s’en engloutir, s’en génocider des milles et des cents chaque jour, il peut bien s’en tronçonner des wagons entiers, les gens qu’on connaît pas, on s’en fout.
Le jour de récent tremblement de terre de Mexico, le gamin de mon charcutier s’est coupé un auriculaire en jouant avec la machine à jambon.
Quand cet estimable commerçant évoque aujourd’hui cette date, que croyez-vous qu’il lui en reste ?
Était-ce le jour de la mort de milliers de gens inconnus ? Ou bien était-ce le jour du petit doigt ? »
Je me dis que c’est une réflexion horrible et terriblement drôle. Parce qu’elle est vraie. Ces gens, je ne les connais pas. Et d’ici six mois tout le monde sera passé à autre chose. Combien de « Je Suis Charlie » sont encore affichés sur facebook, sur les devantures de magasin ou ailleurs ? Plus beaucoup. Au moment de Charlie je n’ai rien dit. J’avais la rage. On tapait sur une de mes valeurs les plus importantes, la liberté d’expression, de rire de tout et surtout du pire.
Aujourd’hui c’est pire. On ne revendique rien d’autre qu’une boucherie sans autre but que de faire peur. J’ai toujours détesté les religions, dans leurs globalités. J’apprecie beaucoup les valeurs, les textes, les images, la morale ou même la mythologie qui s’en dégage. Mais la religion appliquée est un truc qui me révulse. Je laisse chacun faire ce qu’il veut de sa vie et croire en ce qu’il veut. Ca ne m’empèche pas de juger.
Pour moi, les religions représente ce qu’il y a de pire parce qu’elles profitent au mieux de la connerie humaine. De la peur de l’autre, de l’obscurantisme rassurant et conservateur, qui fait qu’on peut haïr, tuer, violer, n’importe qui du moment qu’on le fait au nom de dieu. On accorde une confiance aveugle à des textes nébuleux vieux de plusieurs milliers d’années. Le pire étant qu’on a trouvé l’argument imparable à tous les contre-arguments à la religion: la foi. Tu peux pas comprendre, t’as pas la foi.
Je m’égare.
Hier soir je ne voulais pas suivre en direct. Je suis allée dormir avant l’assaut, avant le dernier bilan. Avant de dormir, tu m’as demandé si j’avais peur. Je t’ai répondu « Non ». Sans préciser plus.
Je n’ai pas peur, je suis en colère. Contre la connerie, la bêtise. En sachant que ça continuera. Dans deux, quatre, neuf mois. Parce que la connerie est inarrêtable.
En attendant, j’ai deux places pour le Bataclan. J’en fais quoi ?
Je suis assez d’accord avec toi. Sauf pour la religion bien que je ne sois pas pratiquante. Ces gens là ne sont pas musulmans, ils ne sont ni croyants ni pratiquants. Ils sont tarés et déshumanisés. Moi non plus je ne m’étais pas exprimée au moment de Charlie; les mots me manquaient. Ce matin, mes larmes ont coulé. Oui tu as raison, les profils Facebook ne vont pas garder longtemps leurs photos bleu blanc rouge (et j’inclus le mien). Pour tes places au Bataclan hélas je pense qu’il n’y a plus de Bataclan… Mais bon je me doute que tu disais ça sur le ton de l’ironie 😊