Paranoïd Androïd


   Je crois sincèrement que les blonds sont aussi rares que les roux. Je dis ça parce que, soit je souffre d’un délire de persécution, soit les gens semblent toujours curieux quand ils me regardent. Ou bien c’est parce que je regarde tout le monde que je m’en rends compte. Ça doit être un truc qui change dans le paysage un blond. Contrairement aux blondEs. J’étais du genre du discret avant. Un blond discret. Qu’on notifie puis qu’on oublie. On me regardait mais sans méchanceté. Or, depuis que mon look se laisse aller, c’est plus marqué. Avant j’étais un blond. Maintenant je suis bizarre.
J’ai l’impression persistante que le regards est aussi plus agressif et moins curieux. C’est peut être pour ça qu’un wesh-wesh à peine aussi grand que moi est venu me prendre la tête à mon arrêt de bus. On était une dizaine à attendre le seul bus qui passerait dans l’heure, et je le voyais tourner entre les gens à chercher une victime. Je savais que ce serait pour moi. On était plusieurs, mais je devais être le plus bizarre, et le plus petit aussi. Il est venu se poser à 50 cm de moi avec son regard Scarface bien dans les yeux. Je sortais du taf, j’étais rincé, je portais ma cravate et ma casquette de papy, les oreillettes du lecteur mp3 vissées dans les oreilles. Je devais faire un peu bourge ou originale ou je sais pas quoi. Il restait devant moi à me toiser de haut en bas comme si on était deux boxers avant un combat. J’avais pas envie de m’écraser alors j’ai enlevé mes écouteurs et je lui ai demandé s’il avait un problème. À l’intérieur, mes nerfs ont commencé à trembler de cette façon si particulière quand une situation peut déraper, tendus à la corde comme un fusible. S’en est suivi un dialogue d’une intelligence digne d’un script de sitcom française(retranscrit de mémoire au trait grossier):
– Nan c’est toi qu’à un problème, kestu r’gardes ?
– Bha toi, tu me regardes bizarrement.
– Ben regarde ailleurs, tu me regardes pas baisse les yeux.
– Tu viens de poser devant moi je vais pas me retourner pour te faire plaisir
– Tu me regardes pas j’te dis !
– Non si tu peux me regarder comme ça je vais pas me priver d’en faire autant
– Ouais bha viens dans ma tour, tu vas voir. Z’avez tous des grandes gueules ! mais vous v’nez pas dans nos tours !
– Qui ça vous ?
– Vous tous là !(il montre tous les gens qui attendent le bus et qui bronchent pas)
Je savais plus quoi répondre. J’avais envie de lui dire qu’il était débile. Qu’il me faisait pitié et que son numéro était usé. Qu’il jugeait sans savoir et que si mon patron me paye une cravate et cinq chemises blanches par an, ça m’empèche pas d’être au SMIC et de compter les jours passé le 15 du mois. J’avais envie de lui dire que moi aussi j’ai vécu en HLM dans un quartier où les voitures brûlent et où ça deale dans les cages d’escaliers(c’était pas Villiers-le-Bel non plus hein…). S’il avait réalisé que les gens ici prenaient le bus, pas leurs bagnoles. J’avais envie de lui demander s’il serait venu se la jouer de la même manière si j’étais un black d’1m90 en costard. Mais mon bus était arrivé et j’avais pas envie de rentrer à pied pour une broutille de ce genre. Je l’ai regardé avec le dégoût qu’il m’inspirait. Il n’a rien dit de plus. Il semblait déçu de son coups.

Je pensais que ce genre de truc n’arrivait plus après le lycée. J’avais oublié que la haine, c’est gratuit.

7 commentaires

  1. J’ai deux pensées qui se croisent en lisant ton article.
    La première, c’est qu’il me semble bien différent de ce que tu écrivais sur la peur de sortir seul la nuit et de se faire agresser. Là on est dans de l’agression de lâche, du petit caïd qui se croit dur, mais face à qui on ne sait jamais vraiment comment réagir. Je me prenais régulièrement des « qu’est-ce que tu mates » dans mon ancien quartier, ayant la fâcheuse habitude de dévisager les gens sans m’en rendre compte ; hélas, la façon la plus simple de ne rien risquer est de détourner les yeux. Tout en bouillant à l’intérieur de ne pas oser être plus primitif voire franchement sauvage. Sans compter l’excentricité qui, bien que totalement admise dans d’autres pays, est encore fortement décriée en France : combien d’insultes ai-je pu me prendre à Strasbourg en portant mes Doc Martens avec un lacet noir et un lacet blanc… La « skinhead fasciste » me reste encore en tête. Les cibles les plus faciles ne sont pas les exubérants, punks aux cheveux roses et New Rocks piercés de partout, non. Ce sont les entre deux, les intermédiaires, ceux qui aimeraient mais qui n’assument pas tout à fait, alors qui s’affirment dans une demi-mesure qui leur convient bien et qui est nécessaire à leur activité professionnelle, aussi. De ce point de vue, on est hélas en plein dedans.
    La deuxième, c’est que je me demande fortement comment tu réagirais si tu étais une femme. Les interpellations dégradantes sont tellement courantes qu’on apprend à ne même plus les entendre. Du soft « wesh mamzelle » pour les plus soft, au « hé salope, tu suces ? » pour les plus terribles (et encore, je reste « correcte »). On est aussi là dans une forme d’agressivité, de volonté d’écraser l’autre par des remarques minables, et je trouve que ça rejoint ton propos sauf qu’évidemment, c’est plus facile de s’attaquer à une femme. Qui ose encore moins faire face.
    Plus personne, moi la première, n’ose se défendre, et n’ose éclater à tue-tête tout ce qui nous bout dans le cerveau à ces moments-là. Par peur.
    Et personne ne sait vraiment comment changer les choses.