Ils marchaient à allure lente, pour ne pas rentrer trop vite. Le fond de l’air était frais mais pas assez pour les obliger à porter des manteaux. Il arborait sa chemise bordeaux fétiche retroussée aux coudes et un veston noir sans manche avec un vieux jean délavé. Il trouvait ça chic. Et espérait qu’elle aussi. De son coté, elle portait un T-shirt vert pistache à manches courtes et bouffantes, moucheté de pois blancs et orné de volants sur le pourtour de son décolleté, habillement ajusté pour provoquer suffisamment de rose aux joues de son chevalier servant sans pour autant attirer tous les regards. Elle avait couvert ses bras et épaules d’un gilet noir trop fin pour la saison, mais il était un peu tard pour se plaindre malgré les frissons qui hérissaient sa peau de ces minuscules reliefs qui appellent les caresses.
Il avait proposé de la raccompagner chez elle en sortant du cinéma. Le film qu’ils venaient de voir n’était ni bon ni mauvais pour lui mais il semblait avoir beaucoup plu à Sandra, elle parlait beaucoup et très vite tandis qu’ils marchaient sur le boulevard et elle cherchait à lire les réactions de son visage quand elle lui faisait une remarque. Au fur et à mesure qu’ils discutaient, Max se détendait et répondait plus longuement, se risquant même à donner franchement son avis quand il n’était pas d’accord et elle se moquait quand il revenait sur ce qu’il pensait avec une moue conciliante.
Il tentait de marcher d’un air cool et naturel et évidemment, il s’en dégageait une anxiété criarde. Heureusement, elle ne semblait pas le remarquer et se serrait allègrement contre lui quand ils devaient éviter divers obstacles tel que les poubelles, les réverbères ou les passants qui circulaient de manière inopportune dans le sens contraire au leur.
Plus il s’approchait de chez elle, plus les tiraillement se faisaient présents dans son estomac. Il était grand temps qu’il lui parle. Il fallait qu’il sache. Sur un coups de sang il s’arrêta au milieu du trottoir et l’attira en la prenant par la main dans le premier espace sur sa droite. Une ruelle aveugle, déserte, abritée du soleil par la hauteur des immeubles. Se trouvaient là plusieurs bacs à ordures, Un amas de cartons divers, un vélo rouillé sans selle ni roue, solidement attaché à un poteau et quelques marches menant à une porte murée. Ce n’était pas l’endoit idéal pour une discussion sérieuse mais il ne pouvait plus attendre.
Sentant que ses jambes manquaient de confiance, il s’assit sur les marches de ciment au milieu de l’impasse et cala son dos contre les briques de la porte condamnée. Sandra le regardait avec une expression d’attente interrogative. Elle s’approcha de lui lui demandant se qui n’allait pas. Il prit ses mains dans les siennes. Après un temps infiniment long les mots commencèrent à sortir de sa bouche. Il avait mal à la gorge et n’arrivait pas à dire ce qu’il avait sur le coeur. Quand il commença à trouver ses mots, un son de verre écrasé retenti derrière Sandra. Il s’arrêta de parler et elle se retourna pour voir d’où provenait le bruit. Appuyés contre les bennes, les cartons commençait à glisser les un sur les autres et à s’étaler dans l’allée comme un château de carte s’écroulant. Ils entendirent tousser sous les cartons et une bouteille de vin se mit à rouler vers le fond de la rue. Sandra recula d’un pas et, son pied heurtant celui de Max, elle se laissa tomber à côté de lui. Il faisait affreusement sombre dans ce coin et on distinguait mal ce qui se passait dans les cartons. Le temps s’étirait et aucun des deux n’était capable de prononcer un mot ou de bouger. Après qu’une quinte de toux grasse se soit échappée de nouveau, un homme se dégagea des cartons en s’aidant du mur. Il était plié en deux, une main ridée aux ongles jaunes et noirs s’appuyait sur le crépit. Son réveil semblait aussi difficile que s’il sortait d’un long coma. Un masse volumineuse de cheveux sales, amas noir entrelacés de touches gris et rousses, oscillait au rythme de ses raclements de gorge. L’homme fini par cracher, renifler et se retourner. Il fit quelques pas dans leurs direction et s’arrêta à deux mètres d’eux. Il les observait, terrifiées, ils en faisaient de même, le fixant comme un fantôme.
Il portait une grande veste militaire défraîchie, qui s’arrêtait à ses genoux, recouverte par endroit de taches de peinture de couleur différentes qui s’éparpillaient sur le kaki éteint devenu cendré. Un pantalon de velour bleu sans age, déchiré ça et là, dévoilait ses pieds maigres et sales sur lesquels serpentait des veines si gonflées qu’elles paraissaient prêtes à exploser. Un pull de laine noire à gros maillon percé de brûlures de cigarette et couvert de vomissures couvrait une chemise bariolée dans les tons orangés. Une lourde mèche graisseuse lui couvrait la moitié supérieur du visage, mais on apercevait derrières ses cheveux deux billes d’ambre ternes injectées de sang, percées par une pupille sombre. Des yeux moitié clos, fatigués et malades, surplombés par d’épais sourcils striés de blanc. De son nez énorme, rougis par le mauvais vin et boursouflé d’excroissances suintantes, s’écoulait une substance noire comme le pétrole qui séchait sur les poils broussailleux de sa barbe cramoisie. Sa bouche épaisse était déformée par les gerçures et des lamelles de peau se détachaient par endroit comme des pelures d’oignon. De ses lèvres entrouvertes s’échappait quelques chicots jaunes rachitiques et branlants qui dégageaient une odeur d’oeufs moisis et de cigarettes bon marché. Son visage ridé était parsemé d’abcès et de petit boutons. La surface de sa peau semblait pourrir et se nécroser. De tout son corps émanait une odeur acre d’urine mêlée de dégueulis et de brûlé. Les relents de puanteur donnaient la nausée à Max.
Il fallait qu’ils partent. Le regard du clochard était vide mais l’air était chargé d’une tension malsaine. Au moment où Max tenta de bredouiller une phrase pour s’en aller, l’homme se mit à leurs hurler dessus en crachant et postillonnant. Max s’excusait sans savoir de quoi et quand le clochard sorti un long couteau rouillé de sa poche il n’hésita plus et emmena Sandra en courant vers le boulevard. Ils galopèrent droit devant eux jusqu’à ce qu’elle n’en puissent plus. Ils ne se dire plus rien jusqu’au retour chez elle. Elle ne l’embrassa pas pour lui dire au revoir. Et jamais plus ils n’allèrent ensemble au cinéma. Ni nul par ailleurs.
Je comprends mieux la difficulté de retranscription de l’image. Mais elle est plutôt réussie. Je trouve que tu arrives de mieux à mieux à compléter ces « capsules d’atmosphère » comme j’aime à les considérer.
Ta plume s’affine, M’sieur.