Lentement, la clef tourne dans la serrure. Malgré des efforts certains et toute la précaution appliquée à l’action, les trois ancrages de la porte basculent au même instant et, déchirant le silence, provoquent un claquement tapageur qui résonne dans l’entrée de l’appartement, sprinte dans le couloir, se heurte à diverses portes fermées et finit sa course en s’insinuant dans l’entrebaillement qui aère la chambre à coucher. Là, le son vient mourir dans l’atmosphère sombre, chaude, presque moite de la pièce. Mais quelqu’un l’a entendu. D’un mouvement sec, la clef s’enfuit.
Elle déteste ce son. Cette porte qui se referme et la réveille à chaque fois, c’est comme un couperet qui s’abat sur sa nuque. Cela tranche son rêve au même moment qu’il le cristallise dans un bloc de glace impénétrable qui risque de se briser au moindre choc. Ses yeux sont toujours clos, elle ne veut pas les ouvrir tout de suite. Elle écoute encore un peu le silence qui reprend doucement place, un silence corrompu, chargé d’attente. Elle ne bouge presque pas, tout mouvement serait épuisant dans la lourdeur étouffante de la couette. Elle ne tendra donc pas le bras pour constater son absence. Elle l’a su à l’instant même où elle s’est réveillée, il existe un sixième sens universel pour ces choses-là. On sent un vide comme on voit la transparence, comme on écoute une pause. Ce vide est on ne peut plus présent que n’importe quoi d’autre. Ses yeux se fendent, laissant s’échapper des larmes de fatigue et elle regarde sur sa droite l’espace de lit inoccupé. Tout est en ordre, la couverture est en place et personne ne semble s’être trouvé avec elle. D’un geste lent pourtant, elle remonte sa cuisse à la perpendiculaire de son corps formant un h étrange, sa jambe venant chercher la chaleur restante à sa portée. Le matelas a gardé son emprunte en mémoire et forme encore une légère cuve dans les plis. Elle finit tout de même par passer sa main sur ce dos imaginaire imprimé par la nuit, tentant le mieux possible de retrouver l’emplacement de ses fesses, ses omoplates, le creux de son dos, la tranchée profonde de son bras qui s’étirait jusqu’à sa nuque à elle. Puis elle atteint le coussin qu’elle tire à son visage. Son odeur s’est imprégnée si vite. Elle lui saisit les narines et se fraye un chemin directement dans la tête, atteignant comme une balle de revolver le centre névralgique de la douleur. Elle se souvient de ce qui a suivi, de ce qu’il a dit et de ce qu’il n’a pas voulu permettre. Ses yeux se referment avec la même force dont elle fait preuve pour serrer les poings sur cet oreiller. Son corps se recroqueville autour de cet amas de plumes et de tissu qui ne peuvent compenser cet abandon ignoble et injuste. Elle voudrait se rendormir et repasser la nuit en marche arrière puis recommencer encore et encore pour profiter de lui éternellement. Raisonnement égoïste. Et stupide. Elle sait qu’il est parti. Et qu’il ne reviendra pas avec le petit déjeuner.