Pfff ce qu’il détestait ce jeu. Une fois de plus il se retrouvait tout seul et les autres devaient déjà former une coalition pour se liguer contre lui et le tuer. Il fallait toujours qu’il soit le premier à perdre. À huit ans on est cruel, après aussi d’ailleurs, mais de manière plus vicieuse. Stan avait l’age des moqueries directes, des coups de poing dans le ventre et des jets de sables dans les yeux et la bouche. C’était aussi l’age des batailles rangées dans les bois. Tout le monde se séparait et on fait « PAN PAN ! » avec des bouts de bois plus ou moins proches d’un pistolet ou d’un fusil. Quand on se faisait surprendre on jouait le jeu, on était mort et on attendait que les autres aient fini. Les règles n’était pas bien fixées, on pouvait parfois lancer des grenades en pomme de pin et souvent on courrait comme un dératé en prétendant esquiver les balles imaginaires.
Comme à chaque fois, Julien avait fait le malin. La fois d’avant il avait exhibé une cartouchière que son père, militaire, lui avait généreusement donné. Il la portait en travers du buste par dessus son blouson en jean kaki trop grand et avait glissé un bonbon dans chaque emplacement de balle. Il achetait grâce à ses sucrerie des « vies » auprès de ses assassins du jour pour s’assurer la victoire. Aujourd’hui c’était un Opinel qu’il avait apporté. Son cadeau d’anniversaire. Maintenant c’était un homme et un homme doit toujours avoir une lame sur lui avait dit son père. Dans sa main d’enfant le couteau ressemblant plus à une dague qu’autre chose. Chacun l’avait eue entre les mains le temps de l’ouvrir et le fermer, le plus souvent avec difficulté. Puis il avait commencé à tailler son bâton avec de grands gestes saccadés pour en retirer l’écorce. Il avait promis de laisser le gagnant tailler son arme avec le couteau. Stan voulait gagner cette fois mais il espérait bien garder l’Opinel pour lui.
Allongé dans les feuilles mortes, il attendait patiemment qu’un de ses copains passe pour lui tirer dans le dos. Il avait déjà vu passer les jumeaux mais ces derniers étaient inattaquables seul puisqu’ils prenaient un malin plaisir à marcher dos à dos chacun équipés de double virgules de marronnier qu’ils arboraient comme des paires de Colt. Stan commençait à avoir froid. L’automne était bien avancé et l’humidité du soir arrivait brusquement, rapidement accompagnée par la nuit. Il allait se relevé quand il entendit les pas de Julien. Celui-ci n’avait pas l’air très pris par le jeu, il fouettait le sol avec des larmes de saule pleureur en faisant des moulinets. Son fusil coincé dans le dos sous la cartouchière; il était à sa merci. Stan laissa passer quelques secondes, saisit son propre fusil de fortune(Une branche tordue de frêne aussi longue que ses jambes), se redressa et fermant un oeil pour mieux viser, lança à plein poumon un BANG en direction de Julien. Celui-ci n’eut pas l’occasion de se retourner pour lancer son habituel « Ratééé ! ». Il n’y eut aucun bruit. Pourtant, le côté gauche de sa tête vola en éclat dans une gerbe de sang, de cheveux et d’os. Puis Julien plia les genoux et tomba face contre terre. Il tenait encore ses spaghettis de saule dans chaque mains. Stan était resté paralysé dans sa position de tir. Il finit par ouvrir son oeil et décoller sa tempe du bâton. À dix pas de lui le corps de Julien reposait presque invisible parmi les feuilles et les fougères. Une traînée de cerveau semblable à un jet de confettis de gelé rose pâle formait une langue abominable sur le sol. Il se rapprocha du corps certain de faire un mauvais rêve. De près la scène était encore plus réelle. Il eut un haut-le-coeur et détourna les yeux. Quand il regarda de nouveau, la première chose qu’il vit était le couteau sagement rangé dans la poche arrière de son pantalon. D’un seul coup la panique s’envola. Il saisit l’Opinel et le planta dans sa propre poche. Les jumeaux ou quelqu’un d’autre n’allait pas tarder à repasser par ici. Stan serra fermement son morceau de bois et parti à la chasse de ses amis.