Des débris de tuile jonchaient le sol un peu partout malgré les nettoyages réguliers. La charpente cédait peu à peu en se répandant sur le ciment gris. Le vent passait à travers les pièces en ignorants royalement les tentatives des résidents pour boucher les ouvertures. L’air frais trouvait toujours son chemin à travers les murs. Il faisait affreusement froid depuis quelques jours. Personne n’osait le dire mais le début de l’hiver avait coïncidé exactement avec la fin de Radio Hope qui s’était tue sans explication et demeurait silencieuse malgré le passage en revue journalier des fréquences. Le rythme de vie s’était engourdit lui aussi. On économisait ses forces, on restait ensemble le plus possible pour garder la chaleur à l’intérieur. On commençait à rassembler le combustible, évaluer les réserves, calculer les rations individuelles. Cet hiver serait dur encore et chacun devrait faire des concessions pour que la colonie survive jusqu’au printemps. On avait perdu deux hommes dans des accidents avec les animaux la saison passée, Chaman n’avait rien pu faire dans les deux cas et en avait beaucoup souffert. Contrairement à son habitude, cela faisait plus de trois jours qu’il était partit sans donner de nouvelles. Au bout de cinq jours, Chef envisageait de partir à sa recherche. Avant qu’une troupe ne fut formée, il revint avec un sanglier sur le dos et un air impassible. C’était toujours une image invraisemblable de voir Chaman porter un animal. Grand, mince et sec comme du bois mort, la peau tannée par une jeunesse ensoleillée, il n’en possédait pas moins une force insoupçonnable et quand ses muscles commençaient de se mouvoir, on pouvait assister à tout un spectacle de vérins de chairs noueuses s’animant sous sa peau. Ses bras paraissaient trop longs, son cou trop fragile et ses genoux instables, mais en réalité il était plus résistant qu’un clou de cercueil. Personne ne savait son age, ses yeux étaient rehaussés de petites rides en leurs coin mais rien de suffisamment marqué pour le considérer comme vieux. La peau de son corps ne souffrait d’aucun plis et peu d’hommes du village parvenaient à suivre son rythme de marche lors des chasses. La fatigue n’avait aucune prise sur lui en apparence. La question de son age lui avait déjà était posée un soir de palabre. Il avait gardé le silence et, après un moment s’était tourné vers le curieux; ce devait être Virgil, encore jeune homme; Chaman l’avait fixé de ses yeux gris clairs, presque blancs, qui avaient cette dérangeante habitude de prendre la couleur de ce qu’il regardait. Ce soir là ils étaient jaunis par le feu et, quand il fut certain d’avoir capté l’attention de tous, il lui dit avec un sourire en coin: « J’ai l’age d’économiser les mots pour leur accorder la valeur des derniers instants ». Chef, qui commençait lui même à compter ses poils de barbe grise, approuva d’un hochement de tête. Le sujet n’avait plus était abordé depuis.
- Ecrits dérisoires